MISSION PAPILLAGOU

DÉVELOPPER L’ESTIME DE SOI PAR LA PROMOTION DES COMPÉTENCES PSYCHOSOCIALES

Le défi pour les structures qui mettent en place des actions de prévention, quel que soit leur type, est de s’adapter au contexte et au public qu’elles visent.

  1. L’historique :

Le dispositif Mission PAPILLAGOU est né du constat réalisé par l’A.P.C.I.S. (Accueils, Préventions, Cultures : Intercommunautaire et Solidaire), une association de quartier installée à STAINS, BAGNOLET et EPINAY / SEINE en Seine Saint Denis, suite à ses actions de prévention thématisées ou ateliers d’écriture dans les établissements scolaires de ces territoires.

Un réel manque de perspectives est ressenti par les jeunes de ces quartiers, qui cèdent facilement et souvent à toutes sortes de conduites à risques, comportements accentués par un environnement fortement impacté par le trafic de drogue, des conditions économiques difficiles et une très forte densité de population.

L’association décide alors, avec l’appui de la Mission de Prévention des Conduites à Risque (MPCR) du Conseil Départemental du 93, de mettre l’accent sur le développement des compétences psychosociales des enfants, considérant que le renforcement de l’estime de soi, le développement de la capacité à vivre dans des relations positives et harmonieuses avec les autres est primordial dès le plus jeune âge si on veut lutter efficacement contre les phénomènes de décrochage scolaire et de comportements addictifs ou à risque.

C’est ainsi qu’en 2008 ils mettent en place dans certaines classes de CM1 et de CM2 de la ville de STAINS un nouveau dispositif qui se présente sous la forme d’un jeu de piste, créé en 1997 par l’Association Nationale de Prévention en Addictologie et Alcoologie (ANPAA) et l’Institut Suisse de Prévention de Addictions (ISPA) « Papillagou et les enfants de Croque-Lune ».

Le projet, porteur d’espoirs et paraissant avoir un impact positif sur la manière dont les enfants se projettent dans l’avenir, est pourtant retoqué par l’Académie de Créteil en 2011, considérant cet outil « inadapté à la tranche d’âge » et à la réforme de 2011 concernant le socle commun, qui encourageait les programmes à s’orienter principalement sur les matières « scolaires ».

Convaincus de son intérêt et de son efficacité, l’APCIS et la MPCR ont collaborés pour réadapter cet outil à un nouveau public, plus âgé, et à un nouveau contexte, celui de l’enseignement secondaire.

Un changement sur la forme donc, en remaniant le conte pour enfant servant de base à la version originelle pour lui donner une tonalité plus « science-fiction », en adaptant l’univers et le graphisme, et sur le fond en modifiant certaines étapes du jeu de piste afin de prendre en compte et d’aborder des réalités spécifiques aux quartiers populaires et à l’âge des élèves.

  1. Le dispositif Mission PAPILLAGOU :

L’histoire de ce programme étant intimement lié au contexte socioculturel dans lequel il est né, il s’attache à répondre à des problématiques particulières de réduction des conduites à risque et addictives chez les publics adolescents.

L’idée est de considérer qu’à cet âge de transition, il est primordial de créer et de stimuler des mécanismes de reconnaissance mutuelle, de leur apporter des outils pour développer l’estime de soi, ainsi que de nouvelles façons de se valoriser.

« Les conduites à risque c’est un moyen de se mettre en valeur aux yeux des autres, … Paradoxal ! On est celui qui n’a pas peur, un s’en fout la mort ; c’est une manière d’exister auprès des autres ».

Lors de 3 séances de 3 heures, espacées d’une quinzaine de jours au maximum, les élèves seront encadrés par des adultes pour aborder à travers le jeu et différentes mises en situation des thèmes précis appartenant à leur quotidien.

Ainsi, ils évoqueront :

  • La question des risques à savoir l’ensemble des comportements qui nuisent à la cohésion d’un groupe.
  • La question de la redevabilité ; l’idée de faire en sorte qu’un autre se retrouve dans l’obligation de me rendre un service.
  • La question du bouc émissaire
  • La question des addictions ; comment quelque chose qui faisait envie peut devenir un objet de dépendance ?
  • La question de la rumeur qui est fondamentale pour ces tranches d’âge.

« Dans un premier temps on voit ensemble ce qui pose problème, et on arrive à le nommer ensemble. […] On outille les enfants à comprendre des processus, notamment grâce à la démarche expérientielle ».

  • La démarche expérientielle :

Emmanuel Meunier fait ici référence à l’experiential learning (ou pédagogie expérientielle), un mouvement qui place l’apprenant dans une position centrale d’acteur et l’amène à construire des aptitudes sociales et cognitives à partir d’expériences directes.

La question de la redevabilité va donc être mise en scène et vécu par les élèves, avec notamment l’une des activité phare de MISSION PAPILLAGOU, « l’offre dangereuse » :

Le groupe-classe est réparti en 4 équipes, les Pilotes, les Explorateurs, les Scientifiques et Reporter.

L’un des groupes, les Scientifiques, propose une tablette de chocolat aux autres groupes en échange d’un service à rendre plus tard, sans leur révéler la nature de ce service, les autres groupes étant libres d’accepter ou de refuser cette offre.

Plus tard, lors du débat face au groupe-classe, le groupe des Scientifiques demande aux groupes ayant accepté leur offre un service exceptionnellement disproportionné, l’obligation de leur amener 10 tablettes de chocolat ou une collection de mangas par exemple. Le meneur de jeu les questionne alors avec le plus grand sérieux sur la manière dont ils vont s’y prendre pour s’en acquitter, avant de leur révéler qu’il s’agit d’une blague.

Lors de cette activité, les adultes se positionnent comme les complices d’une escroquerie, ou tout au moins d’une mauvaise blague, mais cette situation permet aux enfants de commettre une erreur dans un cadre sûr, pour éviter de se planter demain, dans la vraie vie.

En se faisant duper ainsi, les enfants sont amenés à réfléchir sur les risques qu’ils sont enclins à prendre et à mettre en perspective les conséquences des décisions qu’ils prennent, les adultes assurant in fine leur rôle de protection face aux risques qui se présenteront au cours de leur vie.

L’équipe d’encadrement n’est pas présente pour leur apporter la « bonne » solution, mais pour accompagner leur réflexion et les mettre en action ensemble, pour qu’ils opèrent eux même des choix de groupe en étant capable d’établir un consensus.

Cette démarche expérientielle favorise donc le lien enfants/adultes, car en leur apportant des outils pour mieux comprendre ce qu’ils vivent, les enfants se disent :

« Tiens, il y a des adultes qui ont compris ce à quoi on est confronté ».

  • Les objectifs :

Mettre chaque enfant en position d’acteur, et donc de récepteur actif dans le processus d’élaboration commun du message de prévention, permet de favoriser l’adhésion à ce message. Car l’essence du travail de prévention consiste à convaincre une personne d’adopter tel ou tel comportement favorable à son bien-être et à sa santé, ou de modifier certains comportements à risque.

Pour être efficace dans cette tâche, il ne suffit pas de s’appuyer sur l’éloquence ou la force de conviction, mais il convient de se focaliser sur 4 objectifs complémentaires, qui vont s’alimenter entre eux :

  • Le renforcement de l’estime de soi :

De l’estime de soi provient le désir de prendre soin de soi, de s’attacher à mettre en œuvre des actions positives pour soi-même, elle conditionne ainsi l’intensité avec laquelle est reçue le message de prévention.

  • L’amélioration du climat relationnel au sein de la classe :

Comprendre qu’un changement de comportement positif a des effets bénéfiques pour l’ensemble de son groupe d’appartenance, c’est l’objectif des actes de bienveillance qui seront réalisés par les élèves lors des séances. Ils vont constituer un lien avec le travail réalisé en amont.

 « A un moment donné, les enfants vont se dire : Si dans notre groupe classe on est capable de produire des actes de bienveillance c’est qu’on est un bon groupe ; si on est un bon groupe, c’est qu’on est des personnes plutôt bonnes ».

  • La prévention des conduites à risque :

Énumérer les conduites à risque n’a jamais permis de les enrayer. Comprendre qu’elles peuvent répondre à un besoin d’apaisement des tensions psychiques, par contre, est primordial pour proposer d’autres alternatives.

« Il faut développer chez l’enfant la capacité à se manifester positivement, lui permettre de prendre conscience qu’il a des compétences pour adopter un autre comportement que la conduite à risque »

  • Le développement des compétences psychosociales :

 « Les compétences psychosociales sont la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne. C’est l’aptitude d’une personne à maintenir un état de bien-être mental, en adoptant un comportement approprié et positif à l’occasion des relations entretenues avec les autres, sa propre culture et son environnement. »

OMS – 1993

Employer les « bons arguments » pour convaincre du bien-fondé d’un message de prévention est utile, mais il faut avant tout que la personne qui en est destinataire se sente capable de réaliser certains changements.

L’idée est alors de mettre en valeur les compétences et les ressources personnelles que peut mobiliser chaque enfant pour entreprendre ces changements.

Les enfants sont confrontés à des « problèmes » à résoudre en groupe, pour lesquels la décision doit faire consensus. Par des situations vécues collectivement, les enfants prennent conscience de leurs ressources internes et de celles des autres, et de l’intérêt de coopérer, trouver des points de convergence, réduire les points de divergence.

  1. La mise en œuvre :
  • Les impératifs pour mener à bien la mise en place d’un programme MISSION PAPILLAGOU :
  • Construire un partenariat avec un ou plusieurs collèges.
  • Étudier les modalités de financement.
  • Être en mesure de mobiliser des stagiaires pour réaliser l’action en établissant des partenariats avec les organismes de formation (soins infirmiers, travail social, …) et les universités.

La réussite d’un projet comme MISSION PAPILLAGOU requiert la mobilisation de moyens humains conséquents, mais sans être un frein, cette convergence est avant tout un atout pour la pérennité de l’action menée et des objectifs visés, à savoir le renforcement de l’estime de soi des enfants et l’amélioration du climat scolaire.

L’organisation de ce dispositif, en rassemblant les différentes équipes éducatives, enseignants, assistant(e)s sociale, infirmier(e)s, et en mettant en lien les missions de prévention et les structures associatives (maisons d’ado, de quartier, …) avec les jeunes, permet la fondation de véritables communautés éducatives, qui améliorent sensiblement et dans le long terme la réactivité face à des situations d’urgence auxquels les enfants peuvent être confrontés.

Par la sensibilisation et la formation du corps enseignant et de nombreux étudiants éducateurs, infirmiers, psychologues, à la culture des compétences psychosociales, l’A.P.C.I.S. s’inscrit dans une vraie démarche de formation.

  1. Un premier bilan :

Lancé dans sa version d’origine en 2008 puis remaniée pour correspondre aux besoins d’un public plus âgé, le programme « MISSION PAPILLAGOU » a su faire ses preuves dans les territoires où il a été expérimenté.

Une étude menée en 2017 par l’Unité de Recherche Clinique de Ville-Evrard , auprès de 22 classes dans 4 collèges différents, fait état de résultats très encourageants :

  • Amélioration sensible du score total d’estime de soi et de convergence entre les élèves.
  • Baisse du sentiment d’être déprimé, baisse des troubles du sommeil.
  • Hausse de la confiance envers les autres élèves.
  • Baisse des tensions, amélioration du climat scolaire.
  • 70 à 80 % de présence des élèves aux gouters organisés en fin de programme dans les locaux de l’APCIS.

 

  1. L’avenir du dispositif MISSION PAPILLAGOU :

Dans le cadre de la stratégie parisienne de prévention de rixes, le dispositif « MISSION PAPILLAGOU » est financé par la ville de Paris pour être expérimenté dans des collèges du 18ème et du 19ème arrondissement de Paris depuis 2017.

Sa mise en action est menée par l’Association de Prévention Spécialisée et d’Accompagnement des Jeunes (APSAJ), club de prévention spécialisé basé dans les quartiers de la Goutte d’Or et de la Chapelle à Paris.

Les deux premières années d’expérimentation ayant été concluantes, le programme est voué à s’étendre à l’ensemble du territoire parisien et devrait, toucher d’ici 2022, 1500 élèves, soit 60 classes de 13 à 15 collèges, en priorité dans les quartiers les plus sensibles.

L’outil, qui doit sa création à une certaine culture de l’open source, est par essence modifiable et transposable à toutes sortes de contextes et de publics. Cette plasticité ouvre une infinité d’applications et les porteurs de ce projet travaillent aujourd’hui à l’ouvrir encore à de nouvelles classes d’âge, à d’autres types de structures et d’établissements.

Pourquoi ne pas imaginer un jour voir l’utilisation de ces méthodes d’apprentissage expérientiel se systématiser au sein des programmes de l’Éducation Nationale, et plus largement au sein de toutes les structures qui éduquent et forment des enfants et des adultes ?

 

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