Le Nouveau Visage du Métier de Formateur : Pédagogie, Technologie et Relations en Mutation

TEMPS DE LECTURE : 10 MIN

Le formateur, la salle, le PowerPoint : ce trio dominait l’univers de la formation jusqu’à la pandémie. Les organismes de formation et les grandes entreprises étaient dépendants du rôle du formateur. Pourtant, depuis peu, on exige de ce dernier d’animer à distance, voire de produire des ressources pédagogiques pour se passer de sa présence physique. Le métier de formateur en 2023 est toujours aussi valorisant, mais il est en pleine mutation, se modifiant sur trois axes : pédagogique, technologique et relationnel.

Une Mutation Pédagogique Profonde

Encore jusqu’a la crise du covid, la mission principale d’un formateur était de transmettre son savoir. Le formateur avait son savoir-faire, ses supports de formation, ainsi que ses compétences didactiques et pédagogiques pour faciliter la compréhension et l’appropriation des apprenants.

Cependant, l’arrivée de la formation à distance a transformé la donne. Les formateurs se sont retrouvés derrière un écran, privés de leurs techniques traditionnelles comme la circulation entre les tables ou les gestes du corps. Désormais, ils doivent innover pour éviter le “boring learning”, c’est-à-dire l’ennui en formation.

Cela a entraîné deux grandes transformations. La première a été la transition vers les classes virtuelles, marquant la première étape de la transformation digitale forcée de la formation en salle. La seconde a consisté à concevoir des contenus d’auto-formation, ce qui constitue un véritable challenge. Le formateur n’est plus seulement un transmetteur de savoir, il devient aussi concepteur pédagogique de ressources d’autoformation, un tout nouveau métier à intégrer.

Un Bouleversement Technologique

Si pour certains formateurs, PowerPoint était l’outil universel, le passage à la formation à distance a montré ses limites. Il est temps de dire au revoir à PowerPoint et de faire place à une pléthore de nouveaux outils :

La gestion des données est une nouvelle forme de culture, une culture axée sur la connaissance. Cette approche implique la collecte et l’analyse des données pour mieux comprendre les apprenants. Il est assez surprenant que malgré le fait que le 21ème siècle soit celui des apprenants, nous ne disposions que de peu d’informations sur eux. Nous continuons à mettre en place des formations sans réellement comprendre les besoins des apprenants. Le rôle du responsable de formation évolue donc pour devenir un expert en science des données, respectueux du RGPD.

Cette connaissance acquise grâce aux données est mise en œuvre pour définir des actions. Par exemple, comprendre les comportements des apprenants permet de développer une véritable ergonomie de choix. On parle alors d’usabilité, qui consiste à faciliter l’utilisation des produits par les apprenants et à améliorer leur expérience. Les expériences personnalisées “one to one” sont déjà utilisées à cet égard.

Désormais, l’objectif de la formation n’est plus de simplement dispenser un enseignement de manière ponctuelle, mais de créer une relation d’apprentissage durable. Chaque formation ponctuelle doit préparer le terrain pour la suivante. Les méthodes pédagogiques s’orientent donc vers la création d’une relation avec des techniques comme le “teasing” ou le “binge”.

Cette relation continue requiert des moments d’émerveillement pour éviter la monotonie qui peut décourager l’engagement. On assiste à l’incorporation de l’émotion, un concept révolutionnaire du 21ème siècle, dans les pédagogies affectives qui peuvent être ludiques, festives et hors du commun, permettant de sortir la pédagogie de l’ordinaire. On parle de Learner eXperiences (LX) ou de l’effet “whaou”.

La vidéofication, un terme inventé par Cisco, représentait plus de 82% du web fin 2020, une proportion accrue par l’explosion des classes virtuelles et des visioconférences pendant le confinement. En 2019, une vidéo sur cinq était en streaming, et ce phénomène devrait encore augmenter. Le lancement de la 5G en 2020 devrait encore accélérer ce phénomène en favorisant l’usage de la vidéo sur mobile.

L’enjeu est de déterminer le rôle de la vidéo dans nos pédagogies numériques. Le “one to one” (un apprenant regarde une vidéo) est déjà bien implanté, mais ses limites sont connues. Aujourd’hui, le “one to few”, basé sur le modèle des classes virtuelles, s’est généralisé, tout comme le “one to many”, les “lives” apprenants qui gagnent en popularité. Il s’agit presque toujours de pédagogies descendantes, ou de pédagogies de l’offre. La prochaine étape pourrait être une pédagogie bottom up qui redonne le contrôle à l’apprenant dans la vidéofication.

Les “stories” sont des collections de contenus photos et/ou vidéos qui mettent en avant les moments clés pour l’apprenant avec des punch lines, des autocollants, des liens, des “snack contents”. Leur avantage est qu’elles captent l’attention et favorisent ainsi l’engagement et la mémorisation de l’apprenant.

Il s’agit de créer une ligne éditoriale et iconographique qui permet d’intégrer la “story” dans le parcours pédagogique. Pour promouvoir l’interaction 2.0, les apprenants pourraient devenir des créateurs de “stories” autour de défis, favorisant ainsi une pédagogie basée sur l’engagement.

Les podcasts audios, ou “vox learning”, sont des outils pédagogiques particulièrement efficaces. Ils sont bien adaptés à l’enseignement, comme le prouvent les nombreux podcasts disponibles sur Google Podcast ou Apple Podcast. Contrairement aux vidéos pédagogiques, l’absence d’image encourage davantage la réflexion et la construction de la pensée.

Les entreprises peuvent commencer par utiliser des “voicebots” comme Yelda, une start-up française qui propose de créer un assistant vocal en 3 minutes grâce à une standardisation.

Les communautés d’apprentissage sont le pilier de l’apprentissage autonome en groupe, en combinant l’apprentissage synchrone et asynchrone, chacun apprend à son rythme tout en bénéficiant de la dynamique du groupe. Il s’agit d’animer des espaces communs d’apprentissage en créant une ligne éditoriale qui combine la routine et l’événementiel.

Il reste à explorer les règles de ces communautés qui utilisent de nouvelles pratiques. Le sociologue Marshall McLuhan a dit en 1964 que “le médium est le message”, les communautés d’apprentissage ont leurs propres manières de créer de nouvelles formes de formation.

Le LGC est le saint Graal de l’interaction, car il redonne le contrôle aux apprenants. Les pédagogues renversent la hiérarchie traditionnelle de la transmission du savoir, l’apprenant devient le producteur de contenu et le formateur l’animateur qui met en œuvre la pédagogie pour atteindre les objectifs établis. Par exemple, les collaborateurs peuvent être invités à filmer leurs pratiques ou leurs interrogations pour élaborer une pédagogie ascendante, et réorganiser ensuite des produits de formation de type MOOC.

Traditionnellement, la Mesure de la Satisfaction de l’Apprenant est un indicateur clé dans le domaine de la formation. La loi (article L6362-5 du code du travail) oblige les organismes de formation à fournir une fiche d’évaluation de la satisfaction des apprenants, correspondant au premier niveau de la pyramide de Donald Kirkpatrick. L’innovation ne réside pas tant dans l’indicateur lui-même, mais dans son utilisation. On voit émerger des applications en temps réel, permettant d’évaluer la satisfaction de l’apprenant à plusieurs moments clés (et non seulement à la fin) pour chaque module de formation. L’utilisation peut également s’élargir au social scoring, en créant des indicateurs que chacun peut voir et noter (fini le MSA “one to one”), ce que la littérature appelle le TripAdvisor de la formation.

La nouvelle génération de MSA marque un changement culturel. Il s’agit de centrer l’évaluation sur l’apprenant et d’accepter qu’il soit suffisamment mature pour que sa satisfaction repose sur une compréhension claire des connaissances et des compétences acquises. Il faut sortir l’apprenant d’une position passive pour en faire un acteur de sa propre transformation.

L’immersion est freinée par le manque d’un écosystème adéquat. Cependant, 2021 pourrait être une année de changement. Dix ans après l’échec des Google Glass et des Spectacles de Snap, Facebook relève le défi avec ARIA, dont les tests devraient débuter en 2021. De plus, l’écosystème d’Oculus est étendu avec le lancement de Facebook Horizon, plateforme spécialisée dans le gaming social virtuel, qui pourrait également servir de support à d’autres activités. On parle même d’un accord entre Apple et Snap pour compléter le paysage existant. 2021 pourrait donc être l’année de la démocratisation de l’immersion.

Les applications devraient suivre cette tendance. HTC a déjà lancé en 2020 une plateforme de réunion en réalité virtuelle, VIVE Sync, qui a connu un grand succès durant le confinement (Welcome to Vive Sync). Qui deviendra le Zoom de la VR ? Pourrait-on paraphraser McLuhan en affirmant : “le média façonne la formation” ?

Regardez par exemple la présentation de Samsung lors du CES 2020 avec Neon (Exclusive: Samsung’s NEON Revealed – Leaked Trailer Looks Perfectly Human!). Il s’agit d’une simulation qui reproduit de manière réaliste les micro-signaux humains pour des agents de conversation. La grande avancée est que nous avons enfin surmonté la “vallée déconcertante” identifiée par le professeur Mori Masahiro. Il est désormais possible de créer une empathie artificielle, c’est-à-dire une nouvelle méthode de transmission qui s’appuie autant sur le savoir que sur l’émotion. De nouvelles perspectives s’ouvrent pour les formateurs numériques, en particulier si l’on tient compte des progrès en IA et en traitement du langage naturel.

Une Mutation Relationnelle à la Clé

Si le formateur doit s’effacer derrière les outils ou les contenus, cela ne signifie pas pour autant la disparition des relations interpersonnelles entre le formateur et les apprenants, ou entre les apprenants eux-mêmes.

L’interaction en temps réel, typique des formations en salle, se complète désormais par des interactions asynchrones en formation à distance. Le nouveau défi pour les formateurs est de maintenir une présence à la fois synchrone et asynchrone à distance. Cela passe par les outils intégrés aux systèmes de gestion d’apprentissage (LMS), mais aussi par des outils grand public comme Whatsapp, les SMS ou même de simples appels téléphoniques.

Le monde de la formation est en pleine transformation. Si ces mutations peuvent sembler déroutantes, elles ouvrent également de nouvelles opportunités. Les formateurs d’aujourd’hui sont invités à embrasser ces changements pour continuer à jouer leur rôle essentiel dans la transmission du savoir et l’apprentissage continu.








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